Stratégies d’influence : introduction au principe des contagions complexes

#Influence
Publié le 04 juillet 2023
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Les contagions complexes sont des phénomènes observés dans les sciences sociales où les comportements, les opinions et les normes sociales se propagent par le biais d’interactions sociales complexes au sein d’un réseau. Contrairement aux modèles de contagions simples qui supposent une propagation directe d’un individu à un autre, à l’instar d’un virus, les contagions complexes reconnaissent que les comportements et les idées peuvent se propager de manière non linéaire et dépendent de facteurs contextuels et sociaux.

Les contagions complexes peuvent prendre différentes formes, telles que l’adoption de nouvelles opinions, la propagation de nouvelles technologies, la formation de mouvements sociaux ou la diffusion de normes culturelles.

De nombreux travaux ont démontré que les individus sont souvent influencés par l’observation de ce que font les autres individus appartenant au même réseau ou groupe social. Ces observations aident individuellement les gens à comprendre quels comportements sont courants et lesquels sont susceptibles de leur valoir des récompenses ou des punitions sociales (selon les normes de leur groupe d’appartenance). Ils sont souvent considérés comme suffisants pour apprendre de nouveaux comportements . Les chercheurs qualifient les inférences basées sur l’observation des autres d’ « apprentissage social ».

Dans un article publié dans la revue Nature (1) en juin 2019, Jacopo Iacopini, Giovanni Pétri, Alain Barrat et Vito Latora, les quatre auteurs d’une étude sur les contagions sociales précisent que « les interactions par paires ne suffisent souvent pas à caractériser les processus de contagion sociale tels que la formation d’opinion ou l’adoption de nouveautés, où des mécanismes complexes d’influence et de renforcement sont à l’œuvre ». Et de poursuivre « Lorsqu’il s’agit plutôt de phénomènes de contagion sociale, comme l’adoption de normes, de comportements ou de nouveaux produits, ou la diffusion de rumeurs ou de modes, la situation est plus complexe. Une simple contagion de type épidémique peut suffire à décrire certains cas, comme des rumeurs facilement convaincantes ou des effets dominos. Dans d’autres situations, cependant, ils ne fournissent pas une description satisfaisante, en particulier dans les cas où des dynamiques plus complexes d’influence des pairs et des mécanismes de renforcement sont à l’œuvre ».

Citant les travaux de Damon Centola (2), les auteurs indiquent «  Des mécanismes de contagion complexes ont été proposés pour rendre compte de ces effets. Tel que défini par Centola et Macy : « une contagion est complexe si sa transmission nécessite qu’un individu soit en contact avec deux ou plusieurs sources d’activation », c’est-à-dire si un « contact avec un seul voisin actif ne suffit pas à déclencher l’adoption« . La contagion complexe peut donc être définie au sens large comme un processus dans lequel l’exposition à plusieurs sources présentant le même stimulus est nécessaire pour que la contagion se produise. Des preuves empiriques que des processus de contagion, y compris des expositions multiples, peuvent être nécessaires pour décrire la contagion sociale ont été fournies dans divers contextes et expériences ».

Dans une contagion complexe, les individus ne sont donc pas seulement influencés par leurs contacts directs, mais aussi par l’influence indirecte de leurs contacts secondaires et même tertiaires. Ces interactions sociales peuvent se produire à travers des réseaux sociaux formels ou informels, des groupes d’amis, des communautés en ligne ou d’autres structures sociales.

Dans leur article, les auteurs (op. Cit) rappellent que « …, alors qu’un individu peut être convaincu indépendamment par chacun de ses voisins (contagion simple), ou par l’exposition successive aux arguments de différents voisins (contagion complexe), un mécanisme fondamentalement différent est à l’œuvre si les voisins d’un individu vont le/la convaincre dans une interaction de groupe. Par exemple, nous pouvons adopter une nouvelle norme grâce à des processus à deux corps, ce qui signifie que nous pouvons nous faire convaincre, séparément, par chacun de nos premiers voisins de notre réseau social qui ont déjà adopté la norme. Cependant, c’est qualitativement différent d’un mécanisme de contagion dans lequel on se laisse convaincre parce qu’on fait partie d’un groupe social de trois individus, et que nos deux voisins sont tous deux adoptants. Dans ce cas, la contagion est un processus à trois corps, qui imite la source multiple de renforcement la plus simple qui induit l’adoption. Le même argument peut facilement être généralisé à des tailles de groupe plus importantes ».

Les contagions complexes sont souvent étudiées en utilisant des modèles mathématiques, des simulations informatiques et des données empiriques pour en comprendre les mécanismes sous-jacents et idéalement en prévoir les schémas de diffusion en vue de concevoir des stratégies permettant de promouvoir certains types de comportements et influencer les normes sociales. Les chercheurs s’intéressent également à l’identification des individus clés, que l’on pourrait qualifier de « leader d’opinions » pour ne pas dire « influenceurs », qui jouent un rôle crucial dans la propagation des comportements et des idées au sein du réseau.

En matière de contagion complexe, la question du point de basculement de la convention sociale est prépondérante. Dans un article publié dans la revue Science (3) en juin 2018, Damon Centola et ses trois co-auteurs, pose la question suivante : « Une fois qu’une population a convergé vers un consensus, comment un groupe au point de vue minoritaire peut-il le renverser ? ». Et relate une expérience « Des groupes de personnes qui étaient parvenues à un consensus sur le nom d’une personne montrée sur une photo ont été individuellement exposés à un complice qui a promu un nom différent. La seule motivation était de se coordonner. Lorsque le nombre de confédérés était d’environ 25% du groupe, l’opinion de la majorité pouvait basculer vers celle de la minorité ». Dans cet article, les auteurs concluent que « Les modèles théoriques de masse critique ont montré comment les groupes minoritaires peuvent initier des dynamiques de changement social dans l’émergence de nouvelles conventions sociales. Les résultats fournissent une démonstration empirique directe de l’existence d’un point de basculement dans la dynamique de l’évolution des conventions sociales. Lorsque les groupes minoritaires atteignaient la masse critique, c’est-à-dire la taille critique du groupe pour initier un changement social, ils étaient constamment capables de renverser le comportement établi ».

On vient de le voir brièvement,  l’étude des contagions complexes permet de comprendre les mécaniques d’opinions et l’accumulation de connaissances à ce sujet n’a cessé de croître ces dernières années. Pour autant, on reste dans le domaine de l’empirique et de la science expérimentale car comme le rappelle très justement Damon Centola dans How Behaviour Spreads (4), nous n’en sommes pas encore au stade où la diffusion du comportement est complètement comprise.

Nous reviendrons dans un prochain article de blog sur les contagions complexes et la manière dont cela s’applique aux réseaux sociaux en apportant notamment la démonstration que le recours aux « influenceurs » est plutôt inefficace en matière de diffusion d’idées nouvelles, de modification de la perception et/ou des comportements.

(1) Revue Nature, 6  juin 2019 : « Simplicial models of social contagion »

(2) Damon Centola : University of Pennsylvania

(3) Revue Science, 3 septembre 2010 : «  The Spread of Behavior in an Online Social Network Experiment »

(4) How beahviour springs, Damon Centola : Princeton University

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